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18 avril 2010

« Mes concitoyens ont toujours été en guerre avec

« Mes concitoyens ont toujours été en guerre avec les Français et les Provençaux ; aucun fait dans l’histoire niçoise ne montre qu’ils aient été d’accord avec la France et la Provence avec qui ils ont toujours été en guerre »

12 Avril 1860, déclaration de Garibaldi au Parlement de Turin

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18 avril 2010

Sommaire

18 avril 2010

Tentatives de récupération de l’identité niçoise aujourd’hui

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En ce moment, profitant du fait que la véritable histoire de Nice n’est pas enseignée, et pire encore falsifiée par les modernes hussards noirs de la République à la solde du pouvoir jacobin,  divers groupuscules, revêtent des habits niçois afin de véhiculer des idées et idéologies tout à fait contraires à l’histoire et aux intérêts de Nice. Leurs ancêtres ont été les féroces ennemis de Nice, qu’ils ont agressé militairement, pillé et martyrisée à maintes reprises. Eux, aujourd’hui, poursuivent leur oeuvre, intellectuellement du moins.

En effet, il existe encore à Nice un embryon de groupe « Occitan » qui se faufile derrière l'identité niçoise pour faire la promotion, de « la Grande Occitanie » et d’une langue niçoise provençalisée mutilée par les aberrations linguistiques mistraliennes. Ces pâles successeurs de « l'Escolla Bellanda », (association qui au siècle dernier ne parvint pas à mener à bien son travail de sape à Nice), profitant de l'inculture de ces temps, s’affichent même comme des « défenseurs » de l’identité niçoise. Mais en même temps ils écrivent « Niça » et  sont persuadés que Nice est inféodée à leur « Grande Occitanie » mythique qui irait de Toulouse aux vallées italiennes. Ils oublient que les Etats de Provence ont déclaré jadis (1487) que « la Provence s’est donnée pour toujours au royaume de France », alors que les Niçois ne se sont jamais inféodés à personne ; ils ont toujours « rejeté les comtes de Provence » et ne sont Français que par une invasion militaire et un plébiscite truqué. Comble du grotesque, ces provençalisants prétendent même honorer Garibaldi, afin de caresser les Niçois dans le sens du poil. Il suffit de rappeler ce qu’a dit Garibaldi de leurs ancêtres provençaux au parlement de Turin en avril 1860, pour comprendre l’incongruité de leur tentative de  récupération du héros niçois : « Mes concitoyens ont toujours été en guerre avec les Français et les Provençaux ; aucun fait dans l’histoire niçoise ne montre qu’ils ont été d'accord avec la France et la Provence, avec qui  ils ont toujours été en guerre... ».

Ces « Occitans [soit-disant] niçois », locution qui associe deux réalités parfaitement antinomiques, se réclament des théories de François Fontan, né à Paris de mère gasconne, qui vécut un temps à Nice dans les années 60, avant de s’exiler en Italie suite à une affaire judiciaire sur laquelle nous ne nous étendrons pas (car il convient de combattre des théories non des personnes), mais qui aujourd’hui aurait été sanctionnée beaucoup plus sévèrement encore compte tenu des phobies du temps. Fontan avait imaginé intégrer tout un ensemble de populations qui allait de Toulouse aux vallées italiennes dans une Occitanie mythique,  du fait qu’elles étaient, selon lui, unies par une même langue. D’où les tentatives de faire de la langue niçoise, un sous-produit abâtardi du provençal, opération malfaisante que Mistral avait déjà initiée. Mais déjà du temps de Mistral, les érudits niçois avaient fermement réagi à cette falsification, prouvant que l’on ne pouvait faire entrer de force le nissart dans le bocal du provençal sans en altérer complètement le sens.

Fontan, passionné, mystique, et souffrant, avait réuni un petit cercle à Nice, dont les membres, il faut le dire étaient plus sensibles à l’attrait de sa personnalité fantasque mais attachante, qu’à ses théories linguistiques et politiques. La théorie « fontanienne » convenant parfaitement aux Occitans, elle perdura dans ces régions après sa mort. Aujourd’hui des suiveurs, adeptes de cette théorie, se déguisent en Niçois pour la promouvoir de nouveau à Nice. L’objet est d’inféoder la langues niçoise au provençal, pour prouver que Nice serait provençale. Et qu’en conséquence, noyée dans l’ensemble Occitan, elle relèverait de la culture mais aussi de l’autorité provençale, ce qui est une aberration historique.  Poussant cette théorie jusqu’au ridicule, et confondant l’histoire des peuples avec le jeu de Monopoly, ce groupuscule a même crée « un gouvernement Occitan » fantoche, avec président, ministres etc... La vanité et l’ambition contrariée ne craignant pas le ridicule, des adeptes des jeux de rôle, ont donc accepté ces ministères du vent. Voilà pour les Occitans déguisés en Niçois.

Pour clore le chapitre des falsifications avant d’en venir au fond de l’affaire, il convient de dire qu’un parti d’extrême droite français, qui a pour symbole le sanglier gaulois et dont le chef a été condamné pour négationnisme en 1992, se faufile lui aussi derrière l’identité niçoise pour tromper les naïfs ; cachant le drapeau tricolore sous les jupes de Ségurane, il  tente de racoler  des voix pour promouvoir une idéologie qui n’a absolument rien de niçois, et dont Nice à eu à souffrir beaucoup naguère. Les provençalisants se cachant derrière Garibaldi et les cocardiers français derrière Ségurane, souillent la mémoire de nos héros, mais les vrais Niçois ne s’y tromperont pas, et agiront en conséquence.   

18 avril 2010

Nice, Marseille et la Provence

Une mise au point claire et nette est nécessaire en ce qui concerne Nice, Marseille et la Provence occitane ; le rappel des faits historiques l’est plus encore. Nous avons donc résumé ce que tout Niçois devrait savoir, afin de sortir indemne de la véritable forêt d'inepties et de falsifications qui fleurissent actuellement sur le terreau de la méconnaissance de l’histoire de Nice.

Depuis mille ans, féodaux, souverains, chefs d’Etat et politiciens se sont penchés sur les origines de Nice ; cette feinte sollicitude pour notre histoire, n’eut jamais qu’un seul but, expliquer et justifier les bonnes raisons qu’ils avaient de s’emparer de la ville. Tout les prétextes furent avancés : la langue, le climat, les mœurs, les coutumes, le droit, les affinités, la géographie, l’histoire et jusqu’aux plus infimes détails semblant habiliter les uns ou les autres à s’arroger le droit de supprimer nos libertés. Dans cette optique annexionniste, la souveraineté de l’entité niçoise était niée et ne pouvait soi-disant exister qu’inféodée à l’un de ses envahissants voisins ; chacun d’eux déclina tout et son contraire, selon les circonstances politiques du moment. Dans les temps très anciens, Nice était paraît-il un bien de famille, transmis en héritage ou conquis de haute lutte ; durant la féodalité, on la fit faussement provençale, aragonaise ou angevine ; plus tard, elle serait devenue savoisienne, sicilienne puis sarde ; à Plombières Cavour prétendra qu’elle était italienne, puis un an plus tard, qu’elle était française… Les affirmations les plus fantaisistes furent présentées comme des certitudes historiques au gré de la politique. Pour ces bons apôtres, les Niçois ne disposaient que du droit d’attendre sagement qu’on leur explique qui était leur maître. Cependant, au-delà de ces falsifications historiques, une certitude s’impose naturellement : les Niçois, au cours de leur longue histoire, se sont forgés une identité propre échappant aux schémas réducteurs que tout un chacun prétendait leur appliquer ; pourquoi eussent-ils été provençaux, italiens ou français et non niçois tout simplement ?

La vérité est que l’exception niçoise depuis bien longtemps a dépassé ses composantes, quelles qu’elles soient ; mettre l’une d’elles en exergue n’explique nullement l’harmonie du tout. Les Niçois n’ont jamais éprouvé le besoin de se trouver des parentés protectrices, même si certains s’ingéniaient à leur en imposer. Notre identité existe justement parce qu’elle est différente des autres. Elle s’explique aisément par l’osmose entre des facteurs géographiques, climatiques et historiques, conjugués à la volonté particulière des citoyens et à la continuité dans leurs choix ; le tout constitue un héritage conservé dans la mémoire collective et transmis de génération en génération. Le voisinage et la ressemblance avec d’autres groupes humains, si tant est qu’ils existent, ne sont nullement caractéristiques d’une quelconque filiation.

Depuis l’annexion de 1860, l’on a voulu faire de Nice une cité provençale ; vu de Paris, il s’agit « du Sud ». Les mauvaises raisons de ce très tardif baptême, ne manquaient pas : Niké avait été fondée par « les colons marseillais » (qui en fait étaient grecs et n’arrivaient pas de Lutèce, mais de colonies grecques d’Asie mineure). Nice avait appartenu au comté de Provence, (possession théorique, car les Niçois avaient toujours refusé de s’y soumettre et s’en étaient affranchis), la chaîne alpine rattachait naturellement le Pays de Nice à la Provence, (raisonnement qui appliqué à une autre frontière, ferait de la Belgique une province française, ou de la France une province Belge), la langue niçoise était de souche provençale (alors que l’on y trouve des racines grecques, latines, romanes et même celtes). Pour se persuader que Nice était provençale et donc française, l’on transforma même le Présepi Niçois en crèche provençale, ce qui est une hérésie culturelle. La France s’est empressée de marier Tartarin de Tarascon et Catherine Ségurane, le pont d’Avignon et le Pont-Neuf, où pourtant les Niçois ne tournaient pas tous en rond, le Félibrige et la Ciamada, les santons et les santibelli, la bouillabaisse dont on se régale toute l’année et la poutine qui malheureuse­ment ne dure qu’une courte saison… Ces amalgames n’avaient pour but que de créer artificiellement une province homogène et surtout bien française, en escamotant l’identité niçoise. Certes, nous apprécions tous la Provence qui est une région agréable, mais nous demeurons niçois et comprenons tout à fait que les provençaux comme nous, soient attachés à leur terroir ; l’Arlésienne est jolie fille, mais la Niçoise n’a rien à lui envier ; elle a d’ailleurs plus de caractère ; car si la première se contente d’exhiber ses beaux atours dans la crèche de Noël, la niçoise, elle, sait à l’occasion se servir du battoir à linge… Au fil des pages de cet ouvrage, il a été évoqué l’antagonisme ancien entre le Pays de Nice et la Provence, lequel était d’ailleurs plus politique que culturel. Il convient cependant d’examiner le sujet de plus près, afin de dissiper ces idées fausses, insinuées à dessein dans les esprits, au cours du temps.

En ce qui concerne la Provence, voyons donc si elle constituait une entité politique forte et ancienne, à qui nous aurions pu être rattachés par filiation. Le professeur Chabaneau disait à ce propos lors de la leçon d’ouverture au Collège de France en 1889 : « Dans le Midi de la France, aucune ville, aucune seigneurie n’a acquis la suprématie politique, aucune variété dialectale n’a eu le monopole de la culture littéraire et par suite, aucune dénomination locale n’a un droit véritablement historique à se substituer aux autres… ». L’érudit niçois Eugène Ghis allait dans le même sens et en faisait la brillante démonstration : « On doit dire que le Midi de la Gaule fut, en toute son histoire, génériquement provincial, et c’est en cette simple mesure que les appellations Provence et Provençal, devenues traditionnelles par la force des habitudes faute de meilleurs et plus assurés conforts, peuvent être considérés comme tenant lieu d’appellations spécifiques. Elles sont spécifiques de neutralité congénitale, à tout point de vue. Une pareille situation n’a jamais pu favoriser dans le Midi de la Gaule la formation d’une langue générale une et systématique. Le Midi de la Gaule est resté polydialectal non pas par rapport à une langue-mère provençale dont la notion relève du mythe, mais par rapport au latin vulgaire. Chaque parler naturel du Midi de la Gaule est l’aboutissement de traditions particulières. Chacun de ces parlers est original, pour son propre compte. Il existe entre tous ces parlers de la région méridionale française des points de similitude comme il en existe entre tous les parlers du monde unis par des relations sociales, mais il existe aussi des oppositions. Chercher à éliminer ces dernières par artifice, pour combiner – avec les parties plus ou moins communes des parlers naturels – une langue « littéraire » de prétendue renaissance, que l’on farcit ensuite au moyen de néologismes et d’emprunts hétéroclites, est un simple jeu intellectuel qui doit rester classé dans l’ordre des passe-temps. Il ne faut pas chercher de critère phonétique commun à la totalité des parlers méridionaux de la Gaule ; il n’en existe pas sérieusement… Si Nice, en particulier, a des traits de contact linguistiques avec la Provence, elle en trouve aussi et de plus typiques certainement dans ses adjacences nordiques et orientales… La Science proclame que dans un pays à relations sociales libres, il n’existe nulle part de frontière dialectale. La frontière dialectale, là où elle se produit en dépit des possibilités de relations sociales, est un effort d’ordre politique. C’est la politique nationale française qui tend à créer une tranchée dans notre région. L’apparence d’unité que l’on peut constater entre les parlers modernes du midi de la France n’est pas due à « un déterminisme provençal ». Elle est l’effet de l’influence nivelatrice exercée dans le domaine national par la langue française. Le « patois », qui résulte du mélange entre formules nationales et langage naturel, est le seul agent d’intercompréhension qui relie les sujets parlants du Midi. Mais ce patois est un fait nouveau qui n’a rien à voir avec la tradition latine héréditaire ». Henri Sappia concluait justement : « quoique fils du même père, le Niçois et le Provençal ne sont point les mêmes ».

18 avril 2010

Le prétendu lien féodal

Ceux qui font de Nice une cité provençale mettent en avant deux sortes d’arguments, l’un historique, l’autre linguistique. Ils n’hésitent pas à affirmer que la langue niçoise n’est qu’une altération du provençal se caractérisant par une évolution de la graphie et de la phonétique, qui ne ferait d’elle qu’un sous dialecte. En fait, le Niçois tout comme le Provençal et d’autres langues sont des dérivés du bas latin. Le nissart à ses particularités et s’il s’apparente par certains côtés au provençal, ce n’est point parce qu’il en découle, mais du fait que les deux langages ont une racine latine commune. Cette controverse d’ailleurs est vaine, car dans l’absolu, même si les tenants du Provençal avaient raison, et c’est loin d’être le cas, ce ne serait encore pas la preuve que le Pays de Nice est provençal de mœurs, de sang et de cœur, car l’histoire prouve l’inverse. Comme le disait très justement Stéphane Bosio, « Ce qui crée l’individualité d’une population, c’est la somme de ses intérêts et de ses affections, déterminant en elle la volonté de former une commune, une province, un Etat, quelle que soit la langue qu’elle parle, quelle que soit la configuration géographique du pays qu’elle habite ».

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Certes la Provence a constitué une entité politique jusqu’en 1486 et elle conserve depuis une forte individualité ; mais il est hors de question d’y incorporer la région niçoise, au motif d’une communauté de langue et de race, car notre région a elle aussi conservé une forte individualité. La nature originale du Pays de Nice, sa faune, sa flore, le caractère de ses habitants sont bien particuliers et ne s’apparentent pas à la Provence. Dès le Xle siècle, Nice affirma une volonté particulière, celle de se différencier des autres villes, par ses lois et son statut. Les Niçois n’acceptèrent leur sujétion aux dynasties et d’Aragon et d’Anjou que par une union personnelle consentie, non par une vassalité imposée ; mais bientôt, le caractère provençal qu’avait pris la domination de ces princes déplut aux Niçois et ils s’en affranchirent. De 1166 à 1176 en 1229, en 1365 et définitivement en 1388. Gioffredo relate que le 20 janvier 1348, les principaux seigneurs de Provence reconnurent la reine Jeanne pour souveraine, et que la réaction des Niçois ne se fit pas attendre : dès que la reine vint à Nice, ils la jetèrent en prison ainsi que son camerlingue Caracciolo. Les Niçois ne la libérèrent qu’après avoir obtenu toutes les garanties qu’elles ne prendrait pas de mesures d’aliénation de son domaine en faveur d’un prince étranger. La reine se le tint pour dit : le 10 octobre 1352 elle s’engagea à ce que Nice ne soit jamais vendue, puis homologua les statuts de la ville ; l’année suivante elle mandata son beau-frère Philippe de Tarente pour faire consolider les murailles de Nice. Après l’assassinat de la reine Jeanne, son héritier Louis Ier d’Anjou occupa la Provence et c’est précisément pour son adversaire Charles de Duras que les Niçois prirent parti en 1382, ce qui est on ne peut plus clair. Il demeurèrent fidèle à son fils, et ce n’est qu’après sa carence qu’ils choisiront Amédée VII de Savoie, non point prince français et vassal du roi de France, mais prince vassal du Saint-Empire.

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L’un des arguments des tenants de « Nice provençale » le plus souvent avancé est qu’avant 1388, l’on appelait Nice « Cap de Provence » et que plus tard on la nommait encore « Terre Neuve de Provence ». Mais ceci s’explique bien simplement par le fait que ces appellations ne traduisaient que des réalités politiques successives et non une adhésion des populations à la Provence. Quand Nice dépendait politiquement des comtes de Provence, elle était située à l’extrême pointe de leurs territoires à l’Est, et ses rivages en étaient le cap. Après la dédition en 1388, Amédée VII considéra logiquement qu’il s’agissait de « Terres neuves » arrachées à la Provence. Ces dénominations ne sont que des constatations de faits et non une déclaration de droits. La plupart du temps d’ailleurs, l’on appelait couramment une terre du nom de son précédent possesseur. De plus, il est connu que les géographes des XVle et XVlle siècle nommaient notre ville « Nice de Savoie » et que Saint Vincent de Paul dans sa correspondance faisait de même. Ces appellations n’ont pas fait de Nice une cité provençale, pas plus que savoyarde…

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Stéphane Bosio qui s’est longuement penché sur la question et s’est élevé contre les affirmations de Gabriel Hanotaux, développées dans un ouvrage paru en 1928 : La Provence Niçoise. Il relève à juste titre une affirma­tion mensongère : « Quant aux relations de ces régions avec la Savoie, elles ont suivi le va-et-vient des conquêtes alternatives et des occupations militaires, mais elles n’ont jamais changé les bases de la hiérarchie féodale qui faisaient dépendre ces pays du roi de France ». Bosio  y répond de la sorte : « Que dire d’abord d’un lien féodal qui n’a jamais existé… Il faut croire que l’auteur ne s’est documenté qu’auprès de ceux qui ne retiennent de l’histoire de Nice que quelques épisodes. Le silence, la négation massive, ne suffisent cependant pas à supprimer de notre histoire ses autres chapitres… L’histoire impartiale peut rappeler encore qu’en 1691, lors de la prise de la ville par Catinat, les Niçois firent insérer dans la capitulation un article 10 ainsi conçu : « La Ville et les terres adjacentes ne seront ni soumises, ni réunies au Gouvernement Général de la Provence, mais elles seront pourvues par S.M. Très Chrétienne d’un gouverneur indépendant, de manière qu’elles forment une province distincte et séparée ». Effectivement le Sénat de Nice de 1691 à 1696 et de 1704 à 1713, rendit la justice au nom du roi de France, comte de Nice. En 1792, l’abolition de la ligne frontière avec la Provence se fit sans cordialité, puisque les premières déprédations révolutionnaires furent opérées ici par les bataillons marseillais. Cependant le pouvoir central respecta, pour la création du département des Alpes-Maritimes, la ligne du Var comme frontière administrative. Nice demeura sous la Révolution à l’abri des passions royalistes et fédératives qui ensanglantèrent la Provence ».

Pour clore le chapitre du prétendu lien féodal qui aurait lié Nice au comté de Provence et par suite à la couronne de France, venant aux droits du comte de Provence,  nous ajouterons que cette querelle est parfaitement vaine : que ce lien féodal, jadis ait existé ou pas, il fut officiellement abrogé par les bénéficiaires supposés ; Louis XI avait en effet hérité des droits sur la Provence légués par Louis d’Anjou en 1481, mais Louis XII déclara en 1499 « qu’il renonçait à toute espèce d’envahissement de Nice ». François Ier, fils de Charles d’Orléans et de Louise de Savoie, fut encore plus net au sujet des « droits » prétendus de la couronne de France sur Nice, puisqu’il décréta le 10 septembre 1523 « qu’il renonçait solennellement à tous les droits que pourrait avoir la couronne de France sur Nice, au titre d’héritière du comté de Provence ». Juridiquement l’affaire est donc entendue. En 1536 les Niçois se rendirent à Aix afin de récupérer toutes les archives ayant trait à ces droits supposés ; on les leur remit sans aucune opposition et ils les brûlèrent immédiatement en place publique. A défaut d’arguments légaux, la France inventa beaucoup plus tard une prétendue « inféodation linguistique » de Nice à la Provence française.

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18 avril 2010

Les tentatives d’assimilation par Mistral et le Félibrige

mistral La « récupération » de Nice par la Provence, voulue par la France pour d’évidentes raisons politiques, a pris diverses formes ; la plus perverse fut le prétexte culturel. Sous couvert d’harmonisation l’on tenta en effet d’inféoder la culture et la langue niçoise au Félibrige provençal. Les subtilités dialectales étant affaire de spécialistes, je me bornerai à citer Eugène Ghis, qui dans l’Armanac de 1928 donne sur ce sujet un avis plus qu’éclairé : « Répéter ici que Mistral n’a pu faire entrer le langage nissart dans la grande compilation « Le Trésor du Félibrige », si ce n’est au prix de déformations radicales, m’attirera peut-être nouvellement le reproche de pédanterie. Peut m’en chaut… Les interpolations prétendues nissardes du « Trésor » trahissent outrageusement notre parler et on n’a pas idée, par exemple, au bord du Paillon, de phrases telles que celle-ci : « La bono armo de moun paire me disié » ; elle nous est cependant gratuitement attribuée au mot « amo » du glossaire. On peut se demander pourquoi Mistral, qui avait promis à A-L Sardou de donner aux Nissarts un vrai code de leur propre langage, en est arrivé, sous ce vain prétexte, à parsemer son travail d’une infinité de petites monstruosités dont la plupart prêtent franchement à rire. Or, voici ce qu’il en est. Mistral n’a pas pu réaliser sa téméraire promesse parce qu’il s’est butté, dans son entreprise, à deux difficultés insurmontables. Mistral n’a pas pu parler Nissart parce qu’il ne savait pas le premier mot de notre langue et parce que – afin de se documenter en l’espèce – il s’est adressé à des personnes dont j’ignore les noms et qualités, mais dont je puis dire qu’elles connaissaient le Nissart à peu près autant que Mistral lui-même. La seconde difficulté que Mistral a dû affronter c’est l’impossibilité matérielle de noter les sons du langage Nissart en se servant de la combinaison de fortune au moyen de laquelle les Félibres écrivent les patois provençaux. Entre les deux sortes de parler, l’opposition d’ordre phonétique est si complète, qu’on ne saurait la dissimuler sous une notation commune… On rencontre dans « le Trésor » presque autant d’inexactitudes qu’il y a d’expressions prétendument nissardes et ces inexactitudes ne sont pas purement superficielles ; les erreurs sont foncières… Mistral, en raison de son désir de résoudre le problème de la langue méridionale en un sens unitaire, n’a pas pu introduire dans le « Trésor du Félibrige » le Nissart sous son aspect propre.

Les critères de notation de notre parler eussent été en contradiction avec les critères provençaux. Il eût fallu deux clefs pour déchiffrer les indications de l’ouvrage consacré à l’unité provençale… De tout ceci il ressort indiscutablement que si l’on peut jusqu’à un certain point et sans trop de peine, niveler graphiquement une partie des patois provençaux, on ne peut pas niveler ces parlers avec le Nissart… Pour avoir l’unité, le graphologue a dû détruire le parler dissident et ce sera la morale de mon histoire : quand on veut assimiler, sous quelque rapport que ce soit, le Nissart au provençal, on est conduit fatalement à supprimer le Nissart… »

felibrigeDans le but d’assimiler tous les particularismes du Sud, une association fut créée le 21 mai 1854 par sept poètes provençaux, au « Castelet » de Font-Ségugne à Gadagne, près d’Avignon. Les autorités françaises ne furent pas étrangères à la mise en place du « Félibrige », mouvement culturel censé fédérer les pays du Sud autour de la Provence et donc de la France. S’étant étendu dans plusieurs provinces, le mouvement tenta son implantation à Nice en 1880. Quelques personnalités, pour la plupart étrangères à la ville ou y étant seulement nées (appartenant à la Société des Lettres, Sciences et Arts) fondèrent une « école félibréenne de la Maintenance de Provence », sous le nom « d’Escola Bellanda ». Afin de promouvoir ce cercle profrançais, le 5 mars 1882 la « Maintenance de Provence » tint son assemblée générale à Nice ; en présence de Frédéric Mistral Capouliè du félibrige, de Marius Bourrely, Syndic de la Maintenance et de centaines de « Félibres » provençaux, fut officiellement inaugurée l’Escola Bellanda. Mistral prononça un discours qui avait tout pour heurter les vrais Niçois : « Qui m’aurait dit alors que, peut-être trente ans après en revenant à Nice, je la trouverai française et de plus en plus provençale, avec sa vaillante « Ecole de Bellande » qui arbore dans l’azur de votre golfe merveilleux, le gai drapeau du Félibrige… Que toujours, belle Nice tu t’épanouisses au soleil, pour l’honneur de la Provence, pour la gloire de la France… ». Beaucoup de Niçois furent choqués par le fait qu’une association soit créée à Nice « pour l’honneur de la Provence et la gloire de la France » et que celle-ci porte le nom de « Bellanda », appellation évoquant l’ancien château de Nice, justement rasé par les troupes françaises et provençales… Les Niçois ne comprirent pas non plus pourquoi leur ville « devait s’épanouir pour l’honneur de la Provence et la gloire de la France », alors que la Provence et la France se servaient uniquement de Nice comme bouclier militaire aux frontières et que l’aide économique accordée par Paris était plus que chiche. Nice devait effectivement s’épanouir mais pour elle-même et au bénéfice des Niçois.

Un long combat s’engagea entre les défenseurs de Nice et les Provençaux désireux de niveler les particularités niçoises. En filigrane de considérations culturelles et linguistiques se profilaient évidemment des raisons politiques. À l’époque, il était hors de question de les évoquer publiquement, car l’Etat français pratiquait alors un centralisme quasi-dictatorial ; c’est donc sous le prétexte de défendre les particularités linguistiques niçoises, que beaucoup d’érudits niçois défendirent bec et ongles l’exception historique, qui faisait de leur ville une entité indépendante. Cette lutte laissa bien des cicatrices. L’érudit avocat Pierre Isnard dans un discours prononcé en 1930 (pourtant en l’honneur de Frédéric Mistral) ne put s’empêcher, et à juste titre, d’adresser une flèche acérée aux Provençaux, ainsi qu’un avertissement : « …Le 5 mars 1882, lors d’une assemblée générale de la Maintenance provençale à Nice, le varois A-L Sardou, encouragé par le gouvernement, fonde avec des étrangers à notre province, L’Ecole Bellanda. Cette tentative impopulaire échoue, mais apporte parmi nous un trouble non encore dissipé… Nice a son particularisme qu’elle conserve avec piété et qu’elle défend âprement. Avec son Comté, elle est et entend rester une province spéciale ». Le combat s’articulera un moment autour d’un ouvrage de J. Ronjat : « La grammaire historique des Parlés Provençaux modernes ». Les érudits niçois, à longueur d’articles et de conférences, malmèneront l’auteur, même après sa mort : Eugène Ghis écrivit notamment en 1931 dans les Annales : « La thèse d’unité provençale – toute langue doit être une et systématique – est difficile à soutenir. J. Ronjat n’a ménagé ni fatigues ni talent pour atteindre son but, mais je crois bien qu’il a réussi à mettre en pleine lumière le phénomène contraire… S’il m’était permis de verser au dossier un témoignage personnel, je dirais qu’avec le seul recours de mon tempérament linguistique nissard, héréditaire, j’arrive beaucoup plus aisément à comprendre un texte Piémontais qu’un poème Mistralien. Cela ne signifie pas que mon langage soit plus piémontais ou moins provençal, et vice-versa. Il est nissart voilà tout, et comme tel, il tient de ses deux voisins… ». Suivait une brillantissime démonstration dont l’érudition peut laisser pantois les hommes d’aujourd’hui habitués à une culture plus superficielle.

Stéphane Bosio écrit très justement dans l’Armanach Niçois de 1930 : « Les Niçois, qui ont conservé au cœur l’orgueil de leur patrie, soutiennent au contraire que le Nissart s’est formé comme le provençal, le languedocien etc. : issu de la décadence et de l’altération du bas-latin il est une langue ayant des particularités autochtones, son individualité, apparentée certes au provençal voisin, mais sœur et non pas fille dégénérée de la langue d’outre Var. Un volume, plusieurs volumes de philologie ne suffiraient pas à épuiser cette controverse, ni à convaincre les adversaires. Une victoire des provençalisants serait d’ailleurs sans portée décisive en ce qui concerne la « provençialité » de Nice car, même en admettant démontré que la langue parlée dans le Comté de Nice est identique que celle parlée à Aix, on n’aurait pas démontré ispo-facto que le Pays de Nice soit un pays de sang et de cœur provençal… Il est admis en droit historique que l’identité de langue n’est pas un élément décisif de la formation des groupements sociaux. Les exemples contraires à cette maxime de la communauté de langue créant une communauté morale, sont nombreux au cours de l’histoire et autour de nous : les Pays de Genève et de Vaud, le Val d’Aoste, les Alsaciens parlant allemand mais ne voulant pas être allemands… Et les habitants de langue française de la Tour-Pellis qui accueilleraient d’un large rire piémontais les revendications du Dauphiné… La langue est bien une condition indispensable pour faciliter l’association de la communauté – disent Pasquale Fiore et Pradier Fodéré -, mais elle n’établit pas un lien essentiel de manière à obliger tous ceux qui parlent la même langue à former une nation. « L’identité de langage – dit Georges Bry – qui enseignait à Aix il y a trente-cinq ans, est sans doute un élément important, mais il n’est pas décisif… ».

18 avril 2010

Henri Sappia

sappia_photoLa résistance à la « provencialisation » de Nice, destinée à gommer définitivement sa spécificité, fut d’autant plus difficile que les érudits Niçois, seront contraints par la force des choses (c’est le cas de le dire…) de limiter leur action à l’aspect culturel. Néanmoins, deux personnages se détachent qui, plus audacieux que leurs collègues, portèrent l’estoc sur le terrain politique, mais toujours subtilement et en y mettant les formes. Le premier est un personnage exceptionnel, oublié durant les dernières décennies, mais remis à l’honneur par la récente la publication de son livre interdit Nice contemporaine, Henri Sappia. Ce grand érudit est né en 1833 à Touët de l’Escarène. Très jeune il se fit remarquer par ses idées progressistes, (bien que ses études classiques aient été surveillées par son oncle, le chanoine Pierre Sappia, et qu’il ait suivi ses cours au Collège jésuite de Nice). Il devint secrétaire du célèbre républicain italien, Mazzini. Le goût de la liberté le mena à Naples, à Rome, à Turin, en Sicile avec Garibaldi, en exil à Londres avec Mazzini ; condamné à 15 ans de prison par la justice de Napoléon III et libéré à sa chute, il participa au déclanchement de la Commune de Paris et soutint les indépendantistes niçois en 1870-71. Enfin, après une absence de près de cinquante ans, il revint à Nice vers 1885 et fonda l’Acadèmia et la revue Nice Historique en 1898. Beaucoup, dans le parti des intellectuels profrançais, expliquèrent ce retour par un reniement de ses engagements anciens. Cette explication insultante, et qui semblait aller dans le sens de la puissance annexante, est totalement inexacte ; qui connaît la vie de Sappia, faite de sacrifices, de privations, d’élévation morale, ne peut que s’inscrire en faux contre cette assertion aussi stupide que mensongère. Sappia, en aucune manière ne pouvait « changer ». La vérité est toute autre : Sappia, âgé, fatigué, usé par les luttes politiques, tenait à accomplir une dernière mission et c’est la raison qui le poussa à revenir par tous les moyens à Nice, ville qu’il aimait. L’homme à la nuque raide s’imposa le terrible devoir de courber l’échine pour sauver de l’oubli certains épisodes cruciaux de l’histoire de Nice. Des amis influents touchés par sa misère intervinrent en sa faveur, et en 1899 un arrêté municipal du maire Sauvan lui accordera un poste de professeur d’italien dans les écoles municipales ; c’était, pensaient certains, un bon moyen de le tenir. Quelques mois auparavant, il avait fondé la revue Nice Historique. Sappia avait dû montrer patte blanche et donner des gages au pouvoir, notamment celui d’admettre l’annexion de Nice comme honnête et légitime, ou tout du moins ne pas polémiquer sur ce sujet. En outre, il était précisé noir sur blanc dans la revue que « toute discussion purement politique et religieuse était sévèrement interdite », ce qui était un bel exemple de démocratie…

Plus encore, le préfet du département, Gabriel Leroux, toute une kyrielle d’hommes politiques et de bourgeois dévoués à la France, de qui ils tenaient postes et honneurs, avaient donné leur haut-patronage à la revue et infiltraient l’Acadèmia : tout ce beau monde doré sur tranche encadrait l’ancien communard, propagandiste de l’indépendance de Nice que l’on croyait revenu à résipiscence ; l’os qu’on lui avait jeté à ronger, (en l’occurrence le poste de professeur d’italien) lui permettait à peine de subsister très modestement et s’il ne voulait pas le perdre, il convenait de ne pas aborder certains sujets interdits. Sappia, Docteur ès-Lettres en Philosophie, en Droit et éminent latiniste, se mit à l’œuvre. Dans l’impossibilité de poursuivre lui-même la lutte, il s’attacha à transmettre tout son savoir à la postérité, afin que pas une miette du passé de Nice ne soit perdue ; puisqu’il lui était interdit de commenter politiquement des faits historiques pour­tant irréfutables, il les mit en exergue et les diffusa dans des centaines d’articles. Il explique lui-même son action : « Guidé dans mes efforts par tous les vrais Niçois, j’accomplirai l’œuvre qui a toujours été le vœu le plus ardent de mon cœur : offrir à ma Nice bien-aimée et à mes concitoyens, une histoire certaine, dégagée de tout parti pris et basée sur des documents irréfutables… ». Ainsi, grâce à lui, la postérité pourrait profiter de son legs et faire justice de certains mensonges éhontés. Sappia mit toute sa pugnacité et son érudition au service des hommes qui, après lui, seraient libres de dire la vérité et pour cela il doit être grandement remercié. Ce personnage immense disparut le 29 septembre 1906, terrassé par les privations et le travail dans son modeste logis de la rue de la République.

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nice_contemporaineToute la bourgeoisie, propagandiste de la puissance annexante, qui l’avait laissé croupir dans la misère, tout en l’honorant de baveux compliments, couvrit sa mémoire de fleurs, sans doute afin qu’elle soit mieux enterrée. Quelques-uns furent plus sincères ; Le Petit Niçois, entre autres, lui rendit un hommage mérité : « …Il appartenait à cette génération de forts qui préféraient porter la croix sur l’épaule plutôt que sur la poitrine. Aujourd’hui, las d’agir et non d’espérer, c’est à l’étude du Comté niçois qu’il appliqua son intellectualité et sa culture… ». Sappia disparu, le clan des notables stipendiés par la France prit les choses en main et la revue Nice Historique, bien que de bonne tenue, (seulement en ce qui concernait les sujets ne prêtant pas à polémique), véhicula sans vergogne les mensonges les plus éhontés sur le « rattachement » de 1860, comme elle fit l’impasse la plus totale sur la dictature instaurée à Nice en 1870 et 71 par le pouvoir français. Ceux qui se voulaient les « gardiens du Temple » niçois, laissèrent sans mot dire se détériorer les monuments rappelant la liberté de Nice, comme l’ancien Hôtel de ville et la statue de Garibaldi ; des journalistes de L’Eclaireur s’en émurent, notamment dans un article du ler janvier 1907 : « Maintes fois déjà nous nous sommes élevés contre le regrettable abandon dans lesquels les services compétents laissent certains points de la ville. Un des endroits les plus délaissés est assurément cette place Garibaldi, laquelle, quoi qu’en ait dit Jean Lorrain, n’est pas seulement réservée aux flâneries des transalpins, fraîchement débarqués dans notre ville. Cette place, que domine la noble prestance, statufiée en pur Carrare, de l’héroïque Garibaldi, est vraiment dans un déplorable état. Le bassin qui s’arrondit au milieu de la place aurait grand besoin d’un sérieux nettoyage… ». Les « Gardiens du Temple », faisant assaut de veulerie, ou montrant une parfaite inculture (à moins que ce soit une combinaison des deux) se livrèrent à une formidable falsification historique qui prit un tour encore plus forcené quand le fascisme italien commença à revendiquer Nice. Le prétexte était rêvé pour que le coq gaulois, masque la vérité sur la confiscation des droits de Nice. Le Conseil de rédaction de L’Acadèmia, composée alors des éléments que l’on sait, se réunit le 24 juin 1933 à la Villa Masséna, pour délivrer une belle déclaration patriotique de circonstance : « …Nous n’avons pas à affirmer notre indiscutable loyalisme envers la patrie française, que nos pères ont librement adopté en 1860 dans des conditions officielles et historiques, sur lesquelles il serait injurieux de revenir. Il faut donc qu’on sache bien en Italie que nous ne renierons jamais la signature de nos pères qui se conformèrent librement et par un vote unanime, aux décisions prises en 1860, et en plein accord par le gouvernement de l’empereur des Français Napoléon III et celui du roi de Sardaigne, Victor Emmanuel II… ».

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Suivait l’inévitable couplet sur les « morts sacrés » destiné à mettre les contradicteurs au garde-à-vous immédiat : « La mort glorieuse de milliers de fils de Nice et de notre ancien Comté, tombés au champ d’honneur pour la France, en témoigne… ». Défendre la cause du non-retour de Nice à l’Italie était juste, mais les arguments étaient d’une parfaite mauvaise foi ; le prétexte des revendications italiennes, ne justifiait en aucun cas la transgression de la vérité historique. Tous ces érudits, aux ordres, dignes successeurs des Malausséna, Carlone, Avigdor et Lubonis, auraient dû savoir et proclamer que l’Italie n’avait absolument aucun droit sur Nice en vertu de l’acte officiel du 27 mars 1860, par lequel Victor-Emmanuel II renonçait pour lui et ses successeurs à toute souveraineté sur le Comté de Nice. Le fait que le gouvernement de Victor-Emmanuel III réclamât indûment Nice, ne transformait pas pour autant l’escroquerie du plébiscite de 1860 et la dictature de 1871, en d’honnêtes entreprises. Les prétentions infondées de l’Italie donnaient une belle occasion au pouvoir français d’escamoter ses turpitudes derrière un patriotisme théâtral à la fois malsain et burlesque ; il trouva comme en 1860 des relais à Nice ; on en trouve toujours et à pas cher, car titres et rubans ne coûtent pas grand chose et sont fort appréciés. Il est inutile de revenir sur les termes « nos pères ont librement adopté », « les conditions officielles et historiques », « se conformèrent librement et par un vote unanime ». Nous avons vu plus haut ce qu’il en a été et ceux qui ont osé rédiger ce texte étaient au mieux des ignorants, au pire d’indignes faussaires. Une phrase ajoutait la cerise d’arsenic sur le gâteau du mensonge : « les conditions sur lesquelles il serait injurieux de revenir ». N’en déplaise à ces messieurs, la vérité n’est injurieuse que pour celui qui la trahit, non pour celui qui la met à jour. Or, en l’espèce, l’injure faite aux Niçois d’autrefois était ce texte mensonger.

18 avril 2010

L'utilisation des morts Niçois

Nous en venons au couplet sur les morts niçois qui, lui, est véritablement odieux. Napoléon III, comme nous l’avons vu, s’était emparé de Nice pour la transformer en bouclier à ses frontières, et il ne fit qu’y construire des casernes comme ses successeurs ; les Niçois furent injustement sacrifiés à une cause qui n’était pas la leur : la récupération de l’Alsace et de la Lorraine et la pérennité de l’Empire colonial français. Plus de quatre mille d’entre eux ont été contraints au sacrifice suprême, n’ayant d’autres choix que la mort dans les tranchées ou le peloton d’exécution. Il ne faut surtout pas oublier ou taire que seul le trucage du plébiscite de 1860 a rendu ce sacrifice « légitime », en apparence du moins. En ce qui concerne la Savoie, ce « sacrifice » imposé illégalement est véritablement criminel, puisque la Savoie devait être militairement neutre en vertu du traité de 1860 et des traités antérieurs. Justifier l’annexion scélérate par les morts et les souffrances qu’elle avait directement provoqués à Nice, c’était se prévaloir du sang versé injustement par les victimes pour justifier l’action scélérate de ceux qui les avaient envoyés à la mort.

En outre, ces messieurs de l’Acadèmia oubliaient de surcroît qu’au cours des guerres de 1870 et 1914, la France, par l’intermédiaire de certains de ses hommes politiques, d’une partie de sa presse et de son grand état-major, avait jeté les soldats niçois en pâture à l’opinion publique, les traitants de lâches. La simple décence eût voulu que ces cocoricos malvenus ne viennent point troubler le sommeil sacré des Niçois morts inutilement et insultés en guise de remerciement. Par ailleurs, la querelle franco-italienne survenue avant la seconde guerre mondial au sujet de Nice n’était que l’inévitable prolongement des malversations dont s’étaient rendus coupables les gouvernements de ces deux nations en 1860 ; toutes deux avaient vendu et acheté Nice, toutes deux l’avaient sacrifiée à leurs ambitions, avant de se la disputer à nouveau : contrairement à ce que pouvaient affirmer les esprits cocardiers ou ceux qui y avaient intérêt, les vrais Niçois n’avaient aucune raison de prendre parti dans une querelle opposant des puissances qui non contentes de les priver de leur souveraineté, leur avait nui très gravement. Du fait d’événements historiques patents et avérés, les Niçois n’avaient et n’ont d’obligations qu’envers Nice et elle seule. Pourquoi auraient ils dû se déchirer pour savoir s’ils devaient se faire tuer pour l’un ou l’autre des deux pays qui, de connivence, avaient confisqué leur liberté par la force et la fraude ? Depuis 1860, un long et patient travail de sape a été entrepris pour impliquer les Niçois comme les Savoisiens dans des affaires françaises ne les concernant pas et où ils avaient évidemment tout à perdre. Cette manipulation, à la longue, a porté ses fruits, mais ils sont amers et beaucoup d’entre nous le ressentent. Fort heureusement aujourd’hui une grande fraction des Niçois, dont beaucoup de jeunes, le dénoncent hautement, ce qui est la preuve de la pérennité de l’identité niçoise.

18 avril 2010

Résistance des intellectuels…

En dehors du professeur Henri Sappia, d’autres intellectuels niçois ont regimbé contre l’assimilation totale de l’entité niçoise par la France. Ce combat ne pouvant à l’époque être mené au grand jour, les récalcitrants usèrent de prétexte, dont le principal fut la défense de l’ancienne langue niçoise. Pierre Isnard, avocat et érudit, apparenté à Masséna et à Jean-Baptiste Vérany, mena durant des années à l’Académià une guerre de tranchée qui mérite d’être saluée. Récemment, a été dispersée aux enchères une célèbre et très riche bibliothèque niçoise et nous avons pu consulter un dossier très intéressant, à savoir certaines archives de Pierre Isnard, dont le dossier qu’il avait constitué sur ses rapports tumultueux avec l’Acadèmia ; j’aborderai donc le sujet en pleine connaissance de cause et livrerai au public des éléments inédits, prouvant que cette association, à l’époque, était totalement solidaire du pouvoir français pour taire la vérité au sujet de tout ce qui de près ou de loin avait trait à l’annexion de 1860, en même temps que certains de ses membres tentaient de « provencialiser » Nice.

Déjà en 1920, Isnard, comme jadis Madeleine Malgat avec sa pièce « Les Barbets » se vit censuré ; le 2 juillet 1920 le secrétaire de l’Acadèmia lui écrivait : « Je suis en train de préparer le Nice-Historique de juillet-août et je compte y insérer les deux pièces que vous avez écrites et qui ont été primées récemment au concours de l ‘Acadèmia. Toutefois, votre poésie « La Nissarda »…me paraît contenir au premier, au 3e et au 4e couplets, des expressions qui pourraient peut-être prêter à double sens et nous attirer des critiques ; j’ai quelques scrupules à les insérer dans Nice-Historique… Voudriez-vous avoir l’extrême obligeance de me dire si on ne pourrait pas couper le 3e et le 4e couplet, ou tout au moins, alors, en changer certains termes… ? ». Les couplets en question paraphrasaient la Marseillaise, remplaçant la France agressée par Nice envahie ; le quatrième transformait le célèbre « Amour sacré de la Patrie… » en « Amor sacrat, amor de Nissa, Se turna mai de l’ennemic, La fuola manega si drissa, Armenen tui per lu castic. Ch’ora vendrà de n’en defendre, Cuontra dai vile maufatan, Se beson n’es, li nobli issendre, Dai nuostre muorte s’ausseran… ». La réponse d’Isnard fut celle que l’on imagine, et le texte parut dans Nice-Historique et plus tard dans L’Armanach Nissart. Les incidents se reproduisirent : en décembre 1926, ce furent des « Noëls » composés par Isnard et pourtant primés par l’Acadèmia qu’on lui demanda de réformer, sous prétexte de désaccord orthographique.

Le 21 décembre Isnard répondit : « …J’ai l’honneur de vous faire connaître que dans ces conditions je m’oppose absolument à la publication de mon Noël… et je refuse le prix… ». Le 14 janvier 1927, Isnard protesta auprès du président de L’Acadèmia au sujet d’une fausse étymologie attribuée au mot « ratapignata » et conclut « …Pourquoi chercher toujours à dénaturer notre beau dialecte pour essayer de lui donner une origine qui n’est pas la sienne ? C’est le rôle de l’Acadèmia que d’empêcher cette œuvre néfaste et j’aime à croire, malgré tout, qu’elle saura la remplir… » ; quelques jours après, le 30 janvier, le récalcitrant adressa le courrier suivant au président : « A cause des dispositions de certains membres du conseil de direction à mon égard et dans un esprit d’apaisement que vous apprécierez très certainement, j’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien ne pas compter sur la causerie que j’avais accepté de faire à l’Acadèmia Nissarda le 20 mars prochain. Croyez etc.. ». Le baron de Bellet tenta de noyer le poisson et de récupérer l’orateur : « Monsieur et cher collègue, Je vous prie de me pardonner si je viens vous relancer au sujet de la conférence du 20 à l’Acadèmia. Je crois me souvenir qu’en fin de compte, vous l’avez définitivement retirée, mais j’ai eu encore un doute, car il me semble que notre conversation a été interrompue au conseil… » ; réponse d’Isnard : « …Je persiste à croire qu’il vaut mieux que je ne fasse pas à l’Acadèmia la causerie que vous avez eu l’amabilité de me demander. J’ai d’ailleurs interrompu sa préparation après les fâcheux incidents de décembre et de janvier dernier et je n’aurai pas le temps de me mettre en état, comme l’on dit au Palais, d’autant plus que je dois donner une conférence aux naturalistes le 16 mars et une autre au Museum le 17… ».

18 avril 2010

la lutte des intellectuels niçois contre le clan des "Provençaux" au sein de l'Acadèmia

En 1929, la crise à propos de la « provencialisation » du Niçois atteint son apogée ; le 23 janvier Isnard écrivait au président de L’Acadèmia : « …Vous avez eu l’amabilité de me faire l’honneur de me demander de parler à notre société de l’œuvre du savant niçois J.-B. Vérany… Depuis, j’ai reçu de M. le secrétaire général de l’Acadèmia un avis m’informant que vous avez eu la bonté de fixer celle-ci au dimanche 27 janvier courant à 10 heures Il va sans dire que j’avais accepté cette date d’avance mais à la rédaction à peine polie du papier qui m’a été envoyé, j’avais cru deviner un mécontentement que je ne pouvais m’expliquer. Or, je viens d’être entièrement éclairé en lisant, non sans quelque étonnement, dans le numéro de L’Eclaireur de Nice du 22 janvier courant, que le même jour et à la même heure une conférence est organisée à Nice par la société provençale « le Caireu » dont M. le secrétaire de l’Acadèmia Nissarda est le président. M. Joseph Giordan est-il avant tout secrétaire général de l’Acadèmia Nissarda ou président du Caireu ? Je ne veux pas le savoir et je tiens absolument à rester étranger aux incidents regrettables que cette situation est de nature à faire naître… Je viens vous demander s’il ne serait pas convenable de supprimer tout simplement ma conférence. Moi je pense que oui… ».

De nouveaux incidents eurent lieu à l’Acadèmia entre les défenseurs de Nice et le clan des « Provençaux », c’est-à-dire des profrançais. Les propositions orthographiques d’Isnard furent finalement adoptées, mais ce dernier adressa le 30 novembre un courrier peu amène mais amplement justifié à Joseph Giordan, secrétaire général de l’Acadèmia ; en effet, avec son association le Caireu, ce dernier militait ouvertement pour la provencialisation de la langue niçoise : « Mon cher ami, Par l’attitude que vous avez prise hier soir dans la question de l’orthographe du Niçois, il m’a paru que vous aviez l’intention de faire cesser cet esprit de solidarité et de collaboration continue qui nous unissait et qui fut jusqu’ici féconde en résultats. Je n’ai jamais eu la prétention de vous imposer mon système et il vous était loisible de voter contre mais je ne vous cache pas qu’il m’a été très pénible de vous voir prendre la tête du mouvement provençal à l’Acadèmia, engager le premier la lutte et mener le combat pour essayer de faire adopter des formules provençales juste au moment où le « Caireu » fait publier que ses membres écriront désormais le Niçois avec l’orthographe Mistralienne pure. La position que vous avez prise me paraît d’autant plus étrange que vous n’écrivez pas en Niçois et que vous m’avez souvent dit que la question du système de l’orthographe vous importait peu. Elle crée dans tous les cas une fissure très regrettable dans notre bloc, plusieurs de nos collègues l’ont remarqué. Quoi qu’il advienne, je demeure plus que jamais fidèle à notre drapeau… ».

Joseph Giordan lui, en tant que « responsable des Bureaux » d’une grande banque française, à savoir la Société Générale, ne défendait pas le drapeau niçois, mais celui de la puissance occupante. Désormais, la scission entre les pro-Niçois et les tenants de la Provence, à savoir de la France, était inévitable. Pierre Isnard, excédé par la tournure que prenaient les événements, provoqua un terrible scandale à Nice en 1931, année où précisément se tenait au Musée Masséna une exposition sur l’annexion de 1860 ; homme d’esprit, il usa d’un stratagème dont le temps n’a en rien atténué la saveur. Grand collectionneur, Isnard était en possession d’une pièce historique inédite d’une importance capitale ; il la confia à L’Acadèmia dont il faisait partie, tout en la publiant dans L’Armanach (il en était co-directeur, avec Louis Cappatti). Le prétexte de cette publication était de prouver que l’orthographe de l’ancien Niçois correspondait bien à sa façon d’écrire.

Dans L’Armanach, le texte de présentation (l’original manuscrit que nous avons consulté est de la main même d’Isnard) est volontairement d’une extrême sobriété : « L’Armanach est heureux d’offrir à ses lecteurs, la primeur d’une page de Fenochio, relative à l’annexion de 1860, qui fait, cette année, l’objet d’une exposition au Musée Masséna. Nos lecteurs remarqueront que Fenochio orthographiait le Niçois presque à la façon de notre co­directeur Pierre Isnard. Au surplus, peu avant sa mort, l’abbé Pellegrini avait, lui aussi, constaté la nécessité de noter le son u, en surmontant cette lettre d’un tréma ». Mais en fait le tréma sur le u n’était que l’arbrisseau cachant une forêt de désagréables vérités : le texte était une page autographe de Fenochio, directeur du journal Le Nizzardo en 1860, dans laquelle il donnait du sentiment exprimé par les Niçois, au moment de l’annexion, une version diamétralement opposée à la thèse officielle… Le texte, que nous avons intégralement cité plus haut, démentait totalement tout ce que l’Empire, puis la IIIe République, à coups de célébrations, de falsifications diverses et de publications mensongères, tentait depuis soixante et un ans, d’ancrer dans la tête des Niçois. Au bas de l’article était dessiné un gros cougourdon bien ventru, allusion au fait que les Niçois avaient été roulés dans la farine, lors du plébiscite truqué…

Pierre Isnard, soutenu par Cappatti, était allé très loin en contestant habilement la thèse française au moment même où elle était célébrée par une exposition au Musée Masséna. Les hostilités étaient ouvertes et la direction de L’Acadèmia, issue de la bourgeoisie profrançaise, lui tira dessus à boulets rouges, comme autrefois les franco-turcs sur la ville. Son président était à l’époque Jean-Albert Roissard, baron de Bellet. Rappelons que la famille Roissard, contrairement aux apparences, n’était pas d’ancienne souche niçoise, mais originaire de Savoie ; le père du président, le baron François Alphonse, décédé en 1918, avait pourtant été élu député de Nice-Campagne en 1876 avec l’aide du journal séparatiste Il Pensiero ; très souvent, il faut le constater, la mémoire est inversement proportionnelle à la hauteur de la position que l’on occupe. A la suite de la publication « scandaleuse », qui ouvrait une énorme brèche dans la bonne conscience française, L’Acadèmia se divisa et la polémique s’étala dans la presse niçoise ; les journalistes, contrairement à ceux d’aujourd’hui, ne craignaient pas les vagues. On put lire dans le journal Le Caméléon du 29 mars 1931 :

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« Sous la coupole niçoise, qui l’emportera des « Cappatistes » ou des « Belletistes » ? Le torchon brûle au sein de la docte académie. Le président est démissionnaire. Les membres du conseil de direction s’entre-déchirent. Et la toute prochaine assemblée générale s’annonce comme devant être tumultueuse au possible. Une réunion du conseil de direction se tint ces jours derniers. Le Dr Gasiglia la présidait. Brave homme certainement le docteur, mais quel foutu président ! Il ne parle pas, il ronronne. Lui seul s’entend et, probablement s’admire. Bref, le docteur Gasiglia avait convoqué d’urgence ses collègues : M. Roissard de Bellet continuait, en effet, à ne rien vouloir entendre pour retirer sa démission. Et tout ça par la faute de Fenochio… Isnard et Cappatti étaient là. Et aussi Garidelli et Reynaut. Blanchi, Fighiera, Berri et Fenoglio ne manquaient pas non plus… Le docteur-président donne lecture de la lettre que les deux coupables, Isnard et Cappatti, ont adressé à M. Roissard de Bellet. Lettre « très noble », souligne le président. Lettre « adroite » et sans plus eût dit Xavier-Emanuel s’il avait été là. Force fut après aux auditeurs d’entendre la réponse de M. Roissard de Bellet. Fin de non recevoir amicale, susurre le docteur Gasiglia. Rosserie boursouflée, aurait certainement lancé Me Buffon, s’il avait été présent à la réunion. Les premières passes s’engagent ainsi, presque courtoises. Ed. Berri ne va pas tarder à donner à fond, suivi par Reynaut. Deux membres du conseil de direction ont commis une faute (sic). Ils ont fait amende honorable… La porte doit s’ouvrir pour eux. Cependant, pour sauver les apparences, tout le conseil va démissionner. Et le Bureau, ainsi, fera peau neuve. Isnard et Cappatti bondissent. Ils veulent bien publier la prose de Fenochio, mais pour ce qui est de partir, rien à faire. Ils y sont, ils y restent ; Blanchi a horreur, lui aussi, de la démission collective. Enflant sa voix, il demande, il exige le départ des deux accusés, mais… que les autres ne s’en aillent pas, que diable ! Et Gasiglia, le docteur et Blanchi le luthier, ne manquent pas de signaler que les scrutins, même académiques, réservent parfois d’amères surprises. Isnard triomphe et avec lui Cappatti. Berri revient à la charge ; il fonce dur. La majorité le suit. Blanchi pâlit. Gasiglia reste silencieux. Démissionnera-t-on ? Non, car les deux compères goguenardent. Démissionnez si vous voulez, semblent-ils dire. Nous, nous restons. Et ils proposent même à Fenoglio le secrétariat de L’Acadèmia. C’en est trop. Le président, un instant démonté, reprend ses esprits ; il lève la séance. Et jusqu’au 18 avril prochain, les deux clans de l’Acadèmia se feront guerre âpre, sournoise, vilaine, peut-être ; qui l’emportera des « Cappatistes » ou des « Belletistes » ? Les paris sont ouverts… ». Puis vient le dernier paragraphe probablement ajouté par le rédacteur en chef du journal, afin de ne point trop mécontenter Monsieur le préfet : « Le Caméléon, toujours fidèle à sa devise, ne prend pas parti, mais… il trouve que c’est faire trop d’honneur à la prose maléfique de Fenochio – en dépit de son intérêt dialectal – que d’en avoir fait un « casus belli »… ». La République étant « une et indivisible », sa vérité l’était aussi, même si c’était une vérité vérolée, héritée du second Empire ; Isnard et Cappatti étaient donc des « coupables » et la prose de Fenoglio « maléfique » : voilà la plus belle preuve de l’intégrisme que faisait régner la IIIe République à Nice, par l’intermédiaire de ses agents locaux.

Entre-temps s’était posé un grave problème à la direction de L’Acadèmia ; devait-on rendre à Pierre Isnard la lettre originale de Fenochio qu’il avait confié à L’Acadèmia en toute confiance ? Entre honnêtes gens, la question n’aurait même pas dû se poser, mais la tentation de faire disparaître une preuve qui gênait le pouvoir fut la plus forte et on se la posa. Ce n’était plus une association niçoise, mais la forêt de Bondy. Isnard réclama le document avec fermeté, bien décidé à ne pas céder ; on tergiversa et le 19 avril eut lieu une séance houleuse à ce propos. Il semble que cette dernière incongruité fut la cause de la rupture définitive : Pierre Isnard adressa sa démission à L’Acadèmia, et cette fois la lettre était dactylographiée et glaciale : « Monsieur le président, J’ai le regret de vous adresser par la présente, ma démission de membre de L’Acadèmia, à la suite des incidents du dimanche 19 avril. Veuillez agréer etc. ».

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Certains membres et non des moindres, refusèrent de forfaire à l’honneur et prirent parti pour Isnard. Le 25, Louis Cappatti, Stéphane Bosio, Eugène Ghis et Edmond Reynaud, déclarèrent que l’esprit régnant à L’Acadèmia ne correspondait plus à leur idéal niçois et adressèrent également leur démission. L’Acadèmia, en servant la France au lieu de servir Nice, n’était plus « Nissarda » que de nom ; elle s’était décapitée elle-même en perdant ses membres les plus éminents et les plus érudits. Le Camélon du 24 mai 1931 relata ainsi l’assemblée générale qui se tint après ces turbulences : « Dans la mare… L’Acadèmià Nissarda a tenu son assemblée générale. ça a bardé, rapport au séparatisme. Il y a eu des démissions notables et des abstentions significatives. Le communiqué à la presse était muet sur tout ça. Par contre, la liste des présents est édifiante. Elle énumère tout ce que Charlie Chaplin appellerait « les lumières de la Ville ». Citons : Le chevalier Totor de Cessole, C.F. Ingigliardi, Guillaume Borea, B. Visconti, Henry-Mari Bessy, M. Bavastro ! Avec de telles lumières, il n’y a pas à s’étonner si l’éclairage public coûte si cher à la Ville… ». Sans attendre, les démissionnaires Isnard, Cappatti, Ghis, Bosio et Reynaud décidèrent de fonder une revue de qualité véritablement niçoise dans laquelle ils pourraient publier leurs articles, sans être censurés ; le 1er juillet 1931 parut le premier numéro des Annales du Comté de Nice. L’affaire du document Fenochio n’était pas terminée et son légitime propriétaire le réclamait toujours. L’on s’avisa très vite en haut-lieu que Pierre Isnard était avocat et Louis Cappatti avoué… L’on battit donc courageusement en retraite. Pierre Isnard apprit par un courrier daté du 24 août que L’Acadèmia, ou ce qui en restait, baissait enfin pavillon ; le docteur Gasiglia, nouveau président de l’association en remplacement du baron de Bellet, était enfin revenu à la raison : « …Veuillez excuser le retard bien involontaire que j’ai mis à répondre à la lettre que vous m’avez adressé ces jours passés et signée de vous et de M. Cappatti au sujet de la réponse de M. le baron de Bellet à votre lettre concernant l’incident qu’avait soulevé la publication de la lettre de Fenoglio dans l’Armanach Niçard. J’estime que cette lettre vous appartient et doit vous être remise : j’ai prié M. Fenoglio di Briga, notre secrétaire, de la rechercher et de vous la faire tenir, vous la recevrez donc sous peu. Veuillez etc. ».

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